Un esprit étriqué ou ralenti pourrait penser que ce blog fait montre d’un snobisme écœurant à l’égard des romans, films ou séries consacrés au monde ô combien mystérieux du renseignement. Il n’en est rien. Les œuvres sont jugées ici sur pièces, en fonction des ambitions qu’elles annoncent mais surtout de leurs qualités artistiques. Il s’agit d’abord, en effet, de raconter des histoires, inventées ou plus ou moins inspirées de faits réels, et de le faire suffisamment bien pour ne pas provoquer l’ennui, la consternation ou la colère.
L’espionnage, comme les autres thématiques traitées sur les écrans, n’interdit aucun genre. On compte depuis un siècle, par dizaines, des comédies burlesques, amères ou acides, des films d’action, des brûlots politiques, des reconstitutions, ou des thrillers. Les catastrophes ne manquent pas non plus, évidemment, qu’il s’agisse de séries prétentieuses ou d’adaptations ratées, et si cela peut être parfois drôle tellement c’est mauvais, c’est le plus souvent terne, et parfois franchement exaspérant.
La diffusion par France 3, il y a quelques jours, d’un téléfilm nommé L’Ecole des espions ne pouvait qu’intriguer.
Une fois la chose vue, et ça n’a pas été sans peine tant c’est douloureusement mauvais, l’œuvre n’a plus rien, hélas, d’intrigant et provoque plutôt un mélange de consternation et d’étonnement. Mettre en scène des débutants n’était pourtant pas une si mauvaise idée, certes loin d’être originale mais potentiellement plaisante. On pense, par exemple, à d’agréables séries B du début des années 2000 comme Spy Game (2001, Tony Scott) ou La Recrue (2003, Roger Donaldson), qui montraient des nouveaux venus impliqués dans des affaires concrètes. C’était d’ailleurs l’intrigue du premier volet des aventures de Langelot, pour celles et ceux qui s’en souviennent, et il faut de toute façon admettre que rien ne pourra jamais dépasser le premier Kingsman (2014, Matthhew Vaughn) :
On est ici, hélas, très loin du compte tant rien ne fonctionne dans cette fiction qui évoque bien plus une sorte de Joséphine, ange gardien, traque des espions turcs et affronte des oligarques russes que La Taupe (2011, Tomas Alfredson). Le téléfilm présente même presque tous les défauts qu’on peut craindre d’une telle production : scénario indigent, dialogues ridicules, clichés usés jusqu’à la corde, interprétation misérable. Quand on connaît, de surcroît, la lourdeur du processus de validation d’un projet télévisuel, on ne peut que se demander qui a accepté de monter un tel projet, et qui l’a approuvé à chaque étape de sa gestation alors que ses faiblesses devaient sauter aux yeux.
Evacuons d’entrée la question des moyens. La série, tournée dans un château des Yvelines (fort élégant mais assez improbable quand on connaît la sobriété de la communauté française du renseignement), n’a pas bénéficié d’un budget pharamineux, mais là n’est pas la question. La première saison de la série de SF The Expanse (2015-2022) a, par exemple, été tournée dans des décors spartiates et ça ne l’a pas empêchée d’être passionnante, remarquablement écrite et jouée.
Le téléfilm, par ailleurs, ne prétend pas avoir la moindre portée documentaire – et c’est aussi bien, tant dès le début ça ne va pas. Ainsi, on n’entre pas dans une prison française simplement en faisant coucou au gardien, et personne n’a encore mis au point un système permettant de projeter, comme dans un film de George Lucas, des animations en 3D avec lesquelles il serait possible d’interagir. On n’arrive déjà pas à avoir des imprimantes qui fonctionnent.
Tout le problème vient de là : que regarde-t-on vraiment, au juste ? Pas un film d’action, puisqu’il n’y en a pas. Pas un thriller, puisqu’il n’y a ni tension ni enjeu. Même la présence d’une équipe d’une fumeuse Inspection générale du renseignement (en réalité, l’ISR), venue enquêter n’importe comment, ne parvient pas à nous réveiller. Le jeu de Vinciane Millereau, en revanche, est réjouissant de ridicule, et elle autant crédible en commissaire de police que Léodagan de Carmélide en directeur de crèche.
On ne regarde pas non plus une satire ou une parodie puisqu’on ne trouve pas une once d’humour dans tout cela. Et ça n’est pas non plus une comédie de mœurs ou un portrait de groupe, les personnages ayant autant de psychologie qu’un grille-pain. Ils sont même tous caricaturaux, la palme revenant à François (Eugène Marcuse), sorte de petite frappe géniale mais incontrôlable. Criminel condamné, il sort de prison comme on descend les poubelles et l’agression sexuelle dont il se rend coupable sur une de ses camarades ne semble déranger ni ses professeurs, ni sa promotion, et encore moins les scénaristes.
Sans parti pris politique (« les espions sont une élite », « les services de renseignement sont les instruments d’un pouvoir sans scrupule », « le secret, c’est aussi une donnée administrative », « La montagne, ça vous gagne, mais les Yvelines, quelle guigne »), sans guère de style, L’Ecole des espions pourrait ressembler à une tentative péniblement scolaire de nous initier à la fois à l’espionnage et aux complexités du monde contemporain. S’agissant du premier point, il se trouve qu’Éric Rochant et une certaine administration du 20e arrondissement sont déjà passés par là, et avec autrement plus de talent et de panache. Quant au monde sans pitié dans lequel nous nous débattons, des œuvres de grande qualité, comme The Night Manager (1ière saison en 2016, la 2e en 2025), d’après John Le Carré, sont là pour nous éclairer.
Au lieu de nous présenter des crises, des dangers, des menaces diffuses ou des manipulations raffinées, au lieu de nous exposer les intérêts entremêlés des puissances, on nous impose des exposés dignes de Picsou Magazine, récités par un mystérieux haut-fonctionnaire dont la mise défaite évoque plus un vieux pervers en maraude qu’un maître-espion (la prudence est ici de mise, rien n’étant incompatible). Balancée comme une formule d’une grande profondeur, la phrase « L’argent, c’est le nerf de la guerre du terrorisme » est non seulement remarquablement mal dite mais surtout parfaitement idiote. Et, par charité chrétienne, on ne s’attardera pas sur l’intrigue financière, qui ferait passer un épisode de Caméra-Café pour un cours du Collège de France.
Et donc, que regarde-t-on ? La saga Bourne, avec ses outrances stylistiques et ses bagarres irréalistes, dessinait quand même le portrait d’une CIA en roue libre courant après les monstres qu’elle avait créés et qui lui échappaient. C’était irréaliste et pourtant ça marchait, et ça marche encore. La clé est simple, du moins en apparence : pour que le sérieux passe, il faut que ce soit très bien fait, sinon c’est ridicule car écrasé par sa prétention.
A l’inverse, on trouve sur Netflix La Diplomate, une série fort distrayante, pas plus crédible que L’Ecole des espions (voire même moins), mais remarquablement bien faite. Elle réussit tout ce qui a été raté sur France 3 : les personnages sont bien pensés, les dialogues sont bien écrits, les acteurs tiennent la route et la construction ménage ses effets. Ce que nous appelons, dans notre jargon de spécialistes, une histoire bien ficelée.
La question ultime ne concerne finalement pas le but narratif de la série mais ce que pensent ses auteurs des spectateurs de France 3. Serions-nous tous tellement idiots, ignorants, ravagés par la bêtise ambiante qu’il faudrait ne nous montrer que des bouses ? Le succès d’audience de l’extraordinaire minisérie consacrée la catastrophe de Tchernobyl lors de sa diffusion en France apporte une réponse rassurante quant aux réelles attentes du public mais inquiétante quant à la compréhension qu’en ont certains.
