La mode est décidément aux espions, qu’on les expulse, qu’on les étudie, qu’on les filme ou même qu’ils geignent ou crânent en écrivant leurs mémoires. Après le douloureux hors-série du Monde, qu’il est amicalement recommandé d’éviter, un nouveau supplément est donc apparu dans nos kiosques, cette fois du Point.

Disons-le d’entrée, c’est mieux que ce qui a été produit par Le Monde, malgré des ressemblances amusantes. L’interview misérable de Marc Dugain trouve par exemple son équivalent dans l’entretien accordé par Cédric Bannel, énarque, homme d’affaires talentueux, sportif de haut niveau et auteur de romans d’espionnage à peine lisibles. Si Dugain écrit des romans de gare, sans doute peut-on qualifier ceux de Bannel de romans d’aéroport. Au moins cet auteur assume-t-il sa fascination pour le monde du renseignement, son analyse du monde contemporain étant aussi convaincante qu’une une du JDD.
Ce nouveau hors-série présente, lui aussi, quelques défauts agaçants. Dès son introduction, on y parle de James Bond sous la plume de Romain Gubert, et on s’interroge donc d’entrée sur la qualité du travail accompli. A quoi bon diffuser une revue que l’on veut sérieuse en utilisant encore et encore les mêmes clichés imbéciles et tellement datés ? De même s’étonne-t-on des choix bibliographiques – quelques titres étant plus que dispensables – ou de la sélection des séries télévisées (24 heures chrono ? Vraiment ?) disponibles à la fin de la revue. On pourra aussi sourire en lisant que le Bureau des légendes est la « meilleure série française sur les agents sous couverture de la DGSE » alors qu’il s’agit en réalité de la « seule série française sur les agents sous couverture de la DGSE ». Ce service est d’ailleurs encore surnommé « La Piscine », un sobriquet que seule la presse utilise et qui est la marque d’un certain amateurisme.
Pour le reste, ce hors-série, en grande partie construit sur des contributions de Jean Guisnel, l’authentique expert maison, n’a rien de honteux. On y parle services russes et chinois, on y parle cyber et espace, on y parle anticipation des crises et IA, et on y revient sur des moments difficiles (Auckland en 1985, par exemple) ou sur des trahisons réelles ou redoutées (cf. l’article de Claire Meynial sur Paul Redmond). Forcément, tout n’y est pas parfait et affirmer que la CIA serait revenue au premier plan à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine par la Très Sainte Rodina c’est oublier que la célèbre agence américaine a été aux premières loges de la guerre contre al-Qaïda et l’Etat islamique (Oussama Ben Laden n’est pas mort d’une intoxication alimentaire après avoir mangé un kekab près de la place Saint-Michel, et les différents califes successivement tués en Syrie ne l’ont pas été par les troupes russes ou syriennes, trop occupées à piller, violer et torturer pour lutter contre des terroristes, mais bien par des unités américaines, dûment renseignées). De même, il était sans doute possible de se priver des confessions d’un ancien dont on murmure que la carrière n’aurait pas été aussi glorieuse que ce qu’il en dit et qui se livre depuis quelques mois à une gênante campagne d’auto réhabilitation évoquant un ancien Président.
Le hors-série du Point, qui nous refait le coup des guerres secrètes, vaut d’abord pour les deux entretiens réalisés avec un ancien DGSE, Bernard Bajolet, et l’actuel, Bernard Emié – le second ayant succédé au premier.
Si l’interview de « Bajo » est courte et sans révélations, celle du DG actuel est plus dense et aussi plus sentencieuse. Bernard Emié reprend la formule de l’action clandestine comme ADN de son service, comme il l’avait fait dans Le Figaro en 2020 et se réfère, à raison, à la France libre et à la Résistance. Très maîtrisés, et sans nul doute attentivement relus, ses propos sont d’une parfaite orthodoxie : son service a pour mission d’éclairer et d’appuyer les prises de décisions des autorités, et tous les moyens dont il dispose servent cet objectif.
Malgré des questions que l’on croirait posées accoudé à un bar, l’interview ne manque donc pas d’intérêt, les passages concernant l’Ukraine étant à lire avec une extrême attention aussi bien pour ce qu’ils disent et ne disent pas que pour ce qu’ils croient dire et disent vraiment.
Un hors-série qui n’est pas indigne et qui peut même servir d’initiation aux jeunes gens que le plus intéressant métier du monde tenterait.
