Même les plus grands peuvent défaillir. Taylor Sheridan, réalisateur de Wind River, scénariste de Sicario, créateur de Yellowstone et de ses déclinaisons, vient de le faire en signant la dernière superproduction d’espionnage d’Amazon, Special Ops: Lioness, ratage homérique qui ferait passer Cœurs noirs ou Totems, de la même plate-forme, pour des documentaires de LCP. Très lointainement inspirée d’une opération de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan qui utilisait des personnels féminins à des fins de recueil de renseignement, la série met en scène une unité spéciale infiltrant des femmes dans des réseaux jihadistes. Et disons-le d’entrée, c’est parfaitement nul et complètement idiot.
Les moyens n’ont pourtant pas manqué à la réalisation de cette production ambitieuse, sombre, violente, cynique et terriblement vaine. Sheridan et son équipe connaissent pourtant leurs classiques et on relève notamment l’influence de Zero Dark Thirty, le monument de Kathryn Bigelow, de la série des Jason Bourne, et même de 24h chrono, la fameuse série du début des années 2000. Reste qu’on n’y croit pas une seconde tant la stupidité du propos saute aux yeux du spectateur dès les premières minutes, par ailleurs directement empruntées à la remarquable série suédoise Kalifat.
Au lieu, en effet d’infiltrer des sources humaines ou des membres des services spécialement entraînés et dont la légende a été sérieusement testée, la TF Lioness recrute des éléments des forces armées qu’elle met étrangement en condition en les soumettant à des séances de torture et qu’elle balance ensuite sur le terrain sans véritable préparation. L’objectif de la manœuvre (on a du mal à parler d’idée) est de parvenir au plus près de la cible afin de l’éliminer, supposément en toute discrétion. Rien ne va, évidemment, dans ce qui vient d’être résumé, ne serait-ce que parce que la cible à atteindre est ici une espèce de milliardaire du terrorisme, Blofelddu jihad vivant comme un jet-setteur saoudien dont la seule présence au scénario est un scandale.
Le pire n’est cependant pas là. Alors qu’on pensait, au début du 1er épisode, que la mort d’une espionne de l’opération dans une frappe aérienne avait été provoquée par la volonté de ne pas la laisser vivante aux mains de l’État islamique, on découvre rapidement que le sacrifice de militaires américains dans de véritables missions-suicides est assumé par les plus hautes autorités politiques. Comme on vous le disait, c’est idiot, voire débile. On a du mal, en effet, à saisir la pertinence d’une telle démarche : le recrutement de sources n’a pas été inventé pour rien, et la DEA, pour ne citer qu’elle, est devenue légendaire en raison de sa capacité à réaliser des infiltrations de longue durée. Pourquoi, dès lors, aller chercher des militaires d’active sans aucune formation ? On se le demande. Quant à la légalité de la chose, ou à l’immense risque politique qu’elle induit, les scénaristes se gardent bien d’en parler, et on les comprend.
On se demande aussi pourquoi une telle opération, conçue afin d’approcher une cible en douceur sans attirer inutilement l’attention, s’achève par une fusillade nourrie sur une plage espagnole alors qu’un porte-avions impérial croise au large. Question discrétion, on a vu mieux, mais l’imbécillité de ce final est la parfaite illustration de la série.

« Personne ne va nous repérer »
Celle-ci, pourtant, ne manque pas d’intérêt dès qu’elle aborde la question de la masculinité toxique, autre sujet de prédilection de Sheridan qui n’oublie jamais de faire figurer des gros cons à l’écran. Et ici, les gros cons ne manquent pas. L’héroïne est violée, tabassée, pourchassée, humiliée et on trouve des brutes épaisses à tous les coins de rue, péquenauds dégénérés ou aristocrates du Golfe, sans qu’on puisse d’ailleurs clairement les différencier. Certaines scènes sont même gênantes tant elles flirtent avec le voyeurisme, la dénonciation perdant en efficacité au fur et à mesure qu’elle gagne en spectaculaire.
On peut aussi trouver de l’intérêt aux scènes familiales et à la détresse des filles de Joe face aux absences de leur mère. La série, alors, se fait intimiste et presque subtile, comme si les monteurs avaient associé les morceaux de deux fictions diamétralement opposées, mais ces moments ne sauvent pas l’ensemble du naufrage.
Contrairement à ce que pensent certains esprits inutilement tolérants à l’égard de la médiocrité, il n’y pas de snobisme à refuser la bêtise à l’écran. Il s’agit simplement de demander aux auteurs des films et des séries de nous accorder un peu de respect et de ne pas croire que la moindre fiction, pour peu qu’elle soit correctement filmée et qu’elle contienne sa dose de flingues et de poitrines dénudées, va nous intéresser. Special Ops: Lioness pèche d’abord par sa bêtise : sa vision des relations internationales est à peine digne des films de série B des années 60 et tandis que sa présentation de l’appareil d’État américain renvoie à la légendaire série X Files, qui a sans doute beaucoup contribué au développement du complotisme ambiant.
On croise dans des couloirs obscurs et anonymes des hommes et des femmes en costume aux fonctions mystérieuses, envisageant le monde comme des éditorialistes de RT, considérant que Paris est une ville infestée de terroristes – alors qu’on y trouve essentiellement des chantiers inachevés et des cyclistes irresponsables – et admettant finalement que tout cela n’est finalement qu’une histoire de cours du pétrole. Morgan Freeman y joue un Secrétaire d’État débonnaire, Nicole Kidman et Michael Kelly des pontes de la CIA qu’il aurait fallu virer il y a belle lurette (et qui rappellent de très loin leurs homologues dans les Bourne ou les Equalizer), Laysla De Oliveira une victime très résistante et Zoe Saldana une femme au foyer désespérée mais extrêmement dangereuse.
C’est bien ficelé et c’est nul.
